Entretien avec S.E.M. Chasper Sarott, Ambassadeur de la Suisse en RDC

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Six mois après sa prise des fonctions d’Ambassadeur accrédité en RDC, son Excellence Monsieur l’Ambassadeur Chasper SAROTT décrit le sens de la coopération bilatérale entre la RDC et son pays. C’est ainsi que les différents axes d’intervention de la Suisse ont été passées au peigne fin en vue de montrer l’intérêt que la précitée a pour la RDC. Pour vous imprégner de missions de Monsieur l’Ambassadeur de la Suisse en RDC et l’apport de son gouvernement à Kinshasa et au peuple congolais, il vous conviendra de lire l’intégralité de cette interview vous reproduite ci-dessous par Congo Diplomatie, votre magazine.

Congodiplomatie : Monsieur l’Ambassadeur, merci d’avoir accepté de répondre aux questions du Magazine Congo Diplomatie sur l’actualité de la diplomatie et de la coopération bilatérale entre la RDC et la Suisse !

Chasper SAROTT : Merci beaucoup à vous de votre intérêt.

CD : En janvier 2023, dans votre pays, la  Suisse, il a été organisé le forum économique mondial de Davos qui a réuni plusieurs Chefs d’État et de Gouvernement et les multinationales voire des milliardaires. De quoi s’agit-il et quelle est l’idée derrière ce forum ?

CS : C’est un forum qui a pris beaucoup d’importance ces dernières années, comme vous avez pu le constater vous-même. C’est devenu un forum qui réunit les acteurs politiques, ceux du secteur privé et de la société civile. Il favorise les échanges qui dépassent les consultations politiques et les échanges bilatéraux que l’on a habituellement entre pays. On est chanceux en tant que suisse que ce forum ait lieu à Davos, dans les montagnes de la Suisse, dans un cadre idéal en plein hiver. On est aussi entre soi, les opportunités de rencontrer les Chefs d’État ou des Chefs d’entreprise. Ce qui permet d’échanger dans un cadre, peut-être, moins formel que lors d’une visite officielle. D’une manière générale, le cadre dans lequel se déroule un événement ou une réunion a une influence décisive sur la manière dont les gens communiquent entre eux.

CD : Qu’est-ce que ça apporte à la RDC ?

CS : Il faut d’abord participer, afin d’avoir la possibilité d’échanger avec tout le monde. C’est l’occasion d’élargir les réseaux avec les acteurs politiques, les acteurs économiques et d’autres acteurs privés, d’attirer les investissements mais aussi de sentir quels sont les sujets de discussion et d’actualité.

Cette fois-ci, la RDC était représentée par le Chef de l’État lui-même, ce qui a honoré le forum. Notre Président de la Confédération Suisse, Monsieur Alain Berset, l’a reçu pour un entretien bilatéral. Les deux Chefs d’État ont échangé sur la coopération bilatérale entre les deux pays et aussi ils ont parlé de la politique de la RDC. C’était pour le Président de notre pays l’occasion d’écouter le Président Tshisekedi sur la situation sécuritaire complexe et préoccupante à l’Est de la RDC. Enfin, le président Berset a annoncé une visite en RDC en avril.

CD : Le Président Alain Berset a eu un entretien bilatéral avec le Président Félix Tshisekedi. La question sécuritaire y a été évoquée parce que les deux pays entretiennent une coopération. Quels sont les secteurs d’intervention ou d’activités de la Suisse en RDC ?

CS : La RDC est un pays prioritaire pour la coopération suisse qui y est active depuis les années 1990. Elle a établi une représentation à Bukavu en 2009 et dispose d’une présence à Goma et Kinshasa. Dans ses interventions la Suisse combine les trois instruments Aide humanitaire, Coopération au développement et la Promotion de la paix pour l’opérationnalisation de ce que nous appelons le Triple nexus. Elle le fait dans l’intention d’obtenir un impact meilleur et plus durable pour les bénéficiaires de ses programmes.

Concernant ses projets, elle met un focus géographique sur les trois provinces de l’Est du pays à savoir le Nord Kivu ; l’Ituri et le Sud Kivu. Dans le Nord Kivu et l’Ituri, la Suisse œuvre à travers ses partenaires humanitaires. Dans le Sud Kivu, on travaille beaucoup plus dans le domaine du développement. La gouvernance, la santé/nutrition et la formation professionnelle/développement économique locale sont les trois piliers de notre coopération bilatérale.

Avec les projets dans le domaine de la santé, par exemple, on apporte un soutien à des centres médicaux qui, à leur tour, offrent un soutien psychosocial aux femmes victimes des violences sexuelles, un fléau et une arme de guerre dans l’Est du pays. En ce qui concerne les projets dans le domaine du développement économique, ils contribuent à la création d’emplois et à l’augmentation des revenus des populations rurales dans les zones ciblées du Sud-Kivu, en facilitant l’accès à une formation professionnelle de qualité, adaptée aux besoins du marché du travail.

L’Aide humanitaire s’engage à répondre aux besoins humanitaires les plus urgents, en favorisant une réponse flexible en termes de zones géographiques et de secteurs d’intervention. Elle contribue au renforcement de la protection de la population civile et soutient également des projets de santé d’urgence et d’assistance multisectorielle en faveur des personnes déplacées internes et des communautés hôtes affectées par les conflits. La Suisse, en tant que bailleur des Nations Unies, soutient aussi les différentes agences des NU, comme le PAM et UNICEF, y inclus la MONUSCO. Notre apport se traduit aussi en ressources humaines œuvrant dans toutes agences de Nations Unies. Dans l’humanitaire, on est vraiment dans l’urgence, donc les premiers soins, la distribution de nourriture, la prise en charge. Nous travaillons avec plusieurs organisations humanitaires, comme le CICR, Médecins sans Frontière et autres.

CD : En dehors des aspects sécuritaires, humanitaires et de développement, comment décrivez-vous les relations commerciales entre la Suisse et la RDC ?

CS : La RDC est un pays immense avec un grand potentiel dans plusieurs domaines. Je mentionnerai en tant qu’exemple l’agriculture. On importe ce que l’on pourrait produire ici et c’est triste de voir que la terre de ce pays ne soit pas exploitée plus. Il y a beaucoup de potentiel qui intéressent énormément d’industriels et d’investisseurs suisses. D’un autre côté, en Suisse, on regarde plutôt avec réserve le climat des affaires en RDC et on espère que les choses deviendront plus attrayantes. Voyez, on ne peut pas avoir un bon climat des affaires quand il n’y a pas de stabilité et la sécurité juridique. Il sera nécessaire que le gouvernement fasse que la justice suive la bonne gouvernance. Pour exploiter d’avantage l’énorme potentiel économique de la RDC, il est primordial d’améliorer le climat des affaires. Un bon climat d’affaires est crucial pour attirer des investissements nécessaires pour développer les industries et les services et de créer de l’emploi. Nous encourageons alors le gouvernement d’accélérer la mise en oeuvre des réformes nécessaires pour améliorer les conditions-cadre telles qu’une bonne gouvernance, la sécurité juridique, une fiscalité transparente ou des infrastructures adéquates. Ceci est à la base pour le développement de l’économie, l’émergence d’une classe moyenne, la réduction de la pauvreté et le bien-être d’un pays. Il y a encore à faire pour entreprendre les business en RDC. Nous y travaillons, par ailleurs, car il y a intérêt à renforcer notre coopération commerciale qui permet de travailler dans les deux sens. Une vraie collaboration bilatérale va toujours dans les deux sens et aide à promouvoir les investissements ici en RDC et les encourager. On a aussi des grandes entreprises qui viennent d’ouvrir des représentations. Je citerai deux : Roche, qui est une grande firme pharmaceutique de Bâle qui vient d’ouvrir et a lancé le centre médical de lutte contre le cancer et aussi les stratégies nationales pour prendre en charge les patients atteints du cancer. On a aussi Sicpa qui est dans la traçabilité des droits d’accises qui devrait ensuite faire bénéficier à l’Etat pour avoir plus de revenus sur ces produits. Ce sont les deux plus grandes multinationales qui sont arrivées au pays récemment.  C’est une illustration du potentiel et qu’il y a des entreprises qui se lancent. Il y en a encore d’autres qui sont représentées ici au pays, mais ils ne sont pas nombreux. Parmi les plus grands investisseurs et contribuables en RDC se trouve notamment le géant minier Glencore qui est une entreprise suisse. 

CD : Le fait que la Suisse et la RDC soient deux membres de la Francophonie, peut-on retrouver entre les deux États la coopération culturelle ou scientifique ?

CS : La RDC est un géant francophone au monde. La Suisse est le 3ème contributeur financier et ce, de façon indirecte au sein de la Francophonie. Du point de vue financier, on finance beaucoup indirectement. On est actif dans plusieurs domaines au sens large de la coopération scientifique. Il y a des échanges directs entre les universités. L’Université de Kinshasa s’est intéressé récemment à d’autres universités francophones suisses. Là encore, il y a un grand potentiel à exploiter. On se réjouit des jeux de la Francophonie qui auront lieu cette année à Kinshasa. Même si je ne connais pas la taille de la délégation suisse, on attend quand même plusieurs athlètes et plusieurs acteurs culturels pour cet évènement à Kinshasa.

CD : Que préconisez-vous pour raffermir à l’avenir le partenariat suisso-congolais ?

CS : On appuie d’abord sur certaines pistes que l’on a et on essaie d’approfondir. On est à mi-chemin dans notre programme de coopération bilatérale de 4 ans. On mène des évaluations, mais aussi on pense à la suite pour bien cadrer notre futur engagement. J’espère qu’avec notre chambre de commerce et d’autres acteurs économiques, on arrive à promouvoir davantage les investissements ici au pays. Sur le plan politique, on arrive à resserrer nos liens entre les deux pays à l’instar de des visites évoquées ci-haut du Président Tshisekedi avec notre Président à Davos.

CD : Monsieur l’Ambassadeur, vous êtes le représentant de la Suisse en RDC. Vous effectuez les missions qui vous sont assignées et non vos propres choix. Vous vivez en RDC et connaissez la précarité dans laquelle vive la majorité des Congolais, en général. Excusez-nous de le dire souvent. En tant que partenaire et que la Suisse vit en paix, pour preuve, c’est la garde suisse qui protège le Pape dans ses déplacements, même à Kinshasa. Avant ce RDV, je m’étais dit que je vous le diriez lors de cette interview.

Ne pourriez-vous pas proposer au gouvernement suisse ou à votre parlement de modifier ou améliorer votre programme de 2023 en RDC au regard de certaines donnes sur terrain pour l’amélioration de la situation des Congolais ?

CS : Je peux toujours le faire vue que je suis nommé l’Ambassadeur de la Confédération Suisse en RDC. Du coup on devient Ambassadeur des deux pays, donc aussi de la RDC vis-à-vis de la Suisse. On essaie de promouvoir notre pays où on est résident en cherchant à obtenir plus d’investissements et de coopération bilatérale. C’est ça la tache de l’Ambassadeur. Bien sûr, la Suisse est un petit pays. On ne peut investir qu’en fonction de notre PIB dans le développement. On doit le faire en tenant compte des priorités pour des interventions ciblées. On a déjà tablé sur une vingtaine de pays dans le monde pour agir avec pérennité et durabilité. La RDC en fait partie. De ce point de vue on est déjà bien, car il y a beaucoup d’autres pays qui vivent des conditions beaucoup plus difficiles où la Suisse est moins active qu’ici en RDC vis-à-vis d’eux. C’est tout à fait injuste pour ces pays-là. Car c’est en premier lieu la responsabilité du gouvernement congolais de faire avancer les choses. Le budget du gouvernement, a-t-on appris, augmente chaque année pour faire avancer les choses. On souhaiterait que les dépenses budgétaires soient d’avantage dirigées dans la mise en oeuvre des réformes et programmes nécessaires pour améliorer les conditions de vie de la population congolaise. On ne peut toujours pas compter sur les partenaires financiers et techniques ou sur les bailleurs de fonds. Il faut que le gouvernement assume la responsabilité vis-à-vis du peuple congolais. Si on arrive à accompagner le gouvernement dans l’avenir et si le gouvernement y contribue sa partie, on le fera avec plaisir car on ne sera pas le seul à le faire.

CD : Congo Diplomatie a diffusé la cérémonie de remise de votre lettre de créance au Président Tshisekedi, l’année passée. A cet effet, vous avez fait une brève biographie de vous, et on a une idée de ce que vous êtes avant de venir ici. Notre magazine est une revue diplomatique, on va dans les détails. Pourriez-vous nous décrire votre parcours ?

CS : Il y a une partie qui est connue et qui fait partie du CV officiel qui part de mes études. Je suis juriste. J’ai fait le droit à l’université de Zürich et de Berlin, en Allemagne. J’ai travaillé en tant qu’Assistant chercheur à l’université de Zürich en droit constitutionnel. Ensuite j’ai travaillé au service social de la ville de Zürich avant d’entrer au Département fédéral des affaires étrangères. C’est comme ça que l’on nomme chez nous le MAE. J’ai commencé ma carrière par un stage à Vienne, au Kazakhstan avant de retourner à Berne au MAE à la Direction de l’Afrique avant de partir comme Premier Conseiller (N°2) à Beyrouth, au Liban, même fonction de deuxième Conseiller à Varsovie, en Pologne avant d’être nommé Ambassadeur à Madagascar, accrédité au même moment aux Comores et aux Seychelles, avant d’être nommé en août 2022, Ambassadeur de Suisse résident en RDC en même temps accrédité au Congo Brazzaville et au Gabon.

La partie que les gens ne savent pas souvent est que je suis né d’un architecte et d’une physiothérapeute dans un petit village dans les montagnes de l’Est de la Suisse où j’ai fait toutes mes études primaires et secondaires avant d’aller au Lycée pour faire la maturité qui est le bac dans la Capitale du Canton des Grisons avant d’entamer mes études de Droit.

CD : Vous étiez Ambassadeur au Madagascar un pays compliqué. Etre au Congo, ce n’est pas si compliqué que ça ?

CS : J’ai eu la chance dans ma carrière de voir des pays différents sur plusieurs continents. Il y a des pays que je ne connais pas du tout comme ceux de l’Amérique du Sud ou du Nord. En Asie, je connais peu, même si j’y ai fait des voyages privés. J’ai encore de choses à découvrir. Au-delà de tout, je suis très content d’être ici en RDC, un grand pays, avec des grands défis, un pays qui nous tient à cœur et qui est en phase intéressante pour la Suisse.

CD : Comment vous sentez vous en tant qu’Ambassadeur au Congo Kinshasa en même temps accrédité au Congo Brazzaville et au Gabon ?

CS : De manière générale et au regard de mon expérience, je dirai que l’on consacre beaucoup de temps dans le pays où on est résident, car on s’implique au quotidien dans la politique de ce pays-là. On a des échanges avec les collègues, le milieu scientifique et on entretient la coopération. Pour les deux autres pays, j’ai mon agrément, mais je n’ai pas encore présenté mes lettres de créance. Ce sont des règles protocolaires qui m’empêchent de m’y rendre. Je suis plus actif dans mon pays de résidence où je gère des dossiers. Cependant j’ai mon adjoint qui permet que les relations bilatérales continuent même si l’Ambassadeur n’a pas encore fait le déplacement. Là où on n’a pas de représentation, il n y’a pas de coopération bilatérale. Toutefois on garde certaines niches ou c’est le privé qui gagne toujours. Dans ce pays-là, on va essayer de développer des projets avec eux aussi.  On n’a pas vocation à rester focaliser sur seule la RDC.

CD : Vous n’étiez pas à la cérémonie d’échange de vœux organisée par le Président Tshisekedi ?

CS : Non. J’étais hors du pays et je ne suis revenu que le soir même de la présentation. Toutefois, mon adjoint qui était là a représenté la Suisse.

CD : Quel est votre mot de conclusion par rapport à cet entretien.

CS : Je suis d’abord ravi de savoir qu’il y a intérêt d’apprendre de votre part sur ce que nous faisons. C’est aussi très important de donner plus de visibilité sur ce que fait la Suisse, ici, en RDC. On n’a pas des agendas cachés. On est là tout d’abord pour tisser nos liens bilatéraux, pour accompagner le gouvernement et trouver des projets communs, mais aussi apporter notre soutien à la population qui en a besoin.

CD : Excellence, je vous dis merci.

CS : Merci beaucoup.

Propos recueillis par Gomer Oleko

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