En séjour de travail à Kinshasa, son Excellence monsieur l’Ambassadeur de la RDC en Allemagne s’entretient avec votre magazine et fixe l’opinion sur l’apport de la diplomatie de l’actuelle gouvernance, le repositionnement de la RDC sur voies d’expression souveraine et surtout, la reprise de la coopération structurelle entre l’Allemagne et la RDC, avec pour apport notamment l’attraction des investissements privés allemands vers le Congo-Kinshasa. Dans cette dynamique, à en croire l’Ambassadeur de la RDC en Allemagne,  nombreux accords de partenariat ont encore été conclu dans divers secteurs. Pour s’imprégner pleinement de l’essentiel de l’apport de cette nouvelle diplomatie, veuillez découvrir l’intégralité de cette interview.

Congodiplomatie : Excellence, le Président de la République, Felix Tshisekedi a effectué deux fois des visites d’Etat en Allemagne, en novembre 2019 et en août 2022, où il a rencontré les Autorités allemandes. Qu’est- ce qu’on peut retenir de ces rencontres ?

Jeannot Tshoha Letamba : L’apport est multiple et divers. Je dois préciser qu’en automne 2019, le séjour à Berlin du Chef de l’Etat n’était pas n’importe quelle mission, c’était une visite d’Etat, car après des nombreuses années, singulièrement les années Mobutu. À cette occasion, notre Président a eu des entretiens avec l’ensemble des dirigeants des institutions officielles et civiles allemandes. Concrètement, il a pu échanger avec son homologue le Président fédéral Frank-Walter Steinmeier, madame la Chancelière allemande, Angela Merkel, Wolfgang Schauble, les personnalités politiques, civiles et du monde des Affaires autour du célèbre think-tank allemand la Deusche Afrika Stiftung.

Ça faisait longtemps que l’Allemagne ait reçu un Chef d’Etat africain en visite d’Etat alors que notre pays accusait longtemps sa visite en Allemagne. Avant cette heureuse visite, le Congo vivait en autarcie alors que nous sommes un grand pays au centre de l’Afrique. Le fait de venir en Allemagne qui est au cœur de l’Union européenne, c’est une bonne chose, cette ouverture. Au centre de nombreux airs culturels, et au regard de sa construction géopolitique atypique, la RDC n’a pas d’avenir dans l’isolationnisme. Son avenir est dans le monde. L’un des premiers apports de la gouvernance diplomatique du Président est d’avoir réussi à décloisonner les relations entre notre pays et les autres puissances étrangères ; le Vice-premier Ministre Christophe Lutundula, premier exécutant de la vision du Chef de l’Etat l’a si bien compris que nous commençons à récolter les dividendes de cette diplomatie agissante. 

CD : Vous êtes le Représentant du Gouvernement congolais et du Chef de l’Etat en Allemagne. On a l’idée générale des missions qui vous sont confiées par le gouvernement. Quelles sont les missions qui vous sont concrètement assignées ?

JTL : Comme tout Chef de mission diplomatique, ma mission première est de représenter le Chef de l’Etat, de défendre ma Patrie et de l’informer. De ce point de vue, je suis le canal par lequel la coopération s’établie et se renforce pour protéger les frontières du pays et promouvoir le bien-être de ses habitants. Les grandes réalisations dont on vient d’esquisser les traits sont les fruits de cette interaction. Contrairement aux autres missions diplomatiques, ma présence en Allemagne est facilitée par le fait que j’y ai étudié et vécu, maitrisant les nuances culturelles de ce Peuple. Concrètement, on doit faire le distinguo entre les missions classiques et celles qui spécifiques. La mission diplomatique d’un Ambassadeur est de représenter le Chef de l’Etat ; il assume ses fonctions avec dignité et responsabilité. Dans ce cadre, partout où on parle du monde, de l’Afrique, j’ai le devoir d’être présent ou, selon le cas, de me faire représenter pour information.

Le Chef de l’Etat a effectué deux séjours en Allemagne. En automne 2019, il est venu en visite d’Etat, dans le cadre bilatéral ; le second déplacement l’avais été dans le cadre du Compact with Africa qui est une initiative allemande qui permet d’encourager et de garantir, en Afrique, les investissements des capitaux de pays dits du G20. Nombreux investisseurs redoutent des phénomènes tels que les nationalisations pratiquées en masse en Afrique, surtout au sortir des indépendances. C’est d’autant plus vrai que la Zaïrianisation a laissé des traces sombres. La présence du Chef de l’Etat à ce sommet a été l’élément déclencheur de notre admission comme pays observateur au sein de cette importante institution. Saisissant cette heureuse opportunité, notre Ministre des finances, M. Nicolas Kazadi, avait saisi les instances en charge de cette initiative en vue de l’adhésion de la RDC ; la demande est en cours d’examen et va aboutir, car les signaux que l’on nous envoie sont favorables.

Dans ce registre, le premier plus grand dividende avec l’Allemagne est la reprise de la coopération structurelle, suspendue unilatéralement par l’Allemagne depuis les années 1990. Contrairement au passé, il s’observe, depuis ce double voyage du Chef de l’Etat, un changement de regard des autorités allemandes, mais aussi du monde occidental en général, vis-à-vis de leurs homologues congolais et de notre pays. La RDC est désormais considérée comme un partenaire fiable et qui compte. La coopération avec l’Allemagne et plusieurs pays occidentaux se spécialise même spécialisée notamment dans les secteurs environnementaux, climatiques, infrastructurels et de gouvernance sécuritaire.  L’Allemagne est encore disposée à appuyer notre pays dans le secteur d’industrialisation notamment pour la transformation de nos matières premières qui donnerait à notre pays une valeur ajoutée certaine. C’est, d’ailleurs la raison d’être des négociations intergouvernementales germano-congolaises qui débuteront à Kinshasa du 21 au 22 février 2023.

Nous effectuons des déplacements dans les Etats fédérés, mais aussi nous visitons des entreprises, organisons des activités tels que des forums économiques et culturels pour attirer des touristes et des investisseurs, très bientôt deux forums sont annoncés entre l’Allemagne et notre pays, la RDC : dans le cadre bilatéral qui auront lieu d’ici au mois de juin en Allemagne, et probablement à Francfort ou à Cologne. Dans le cadre multilatéral, nous organisons des activités même à travers les communautés sous régionales, nous sommes le président des différentes communautés. Nous, Ambassadeurs de la CEEAC avons programmé un festival culturel pour le mois de mai ou de juin.

CD : Cette question est vraiment délicate. Vous représentez le Chef de l’Etat dans une grande puissance européenne, l’Allemagne. Nous avons l’impression que votre pays accréditaire est neutre dans le conflit Rwando-congolais où des dizaines des congolais meurent tous les jours. C’est peut être une occasion de solliciter un peu plus l’implication de cette grande puissance pour que les choses puissent s’améliorer ?

JTL : Comme vous le savez, les pays membres de l’Union Européenne, à certaines échelles scalaires, suivent la politique définie à Bruxelles au niveau de la Commission. Partant de là, l’Allemagne, ne décide pas seule. Elle suit la position de l’UE. Vous n’êtes pas sans savoir que l’Allemagne et la France sont la locomotive de l’Europe. Elle ne peut pas prendre des positions qui mettraient en mal la politique de l’UE.

Malgré cette image qui renvoi à la neutralité, il n’y a pas longtemps la majorité des pays européens ont condamné fermement le soutien du Rwanda au M23, cela grâce à une offensive diplomatique menée par le Chef de l’Etat, appuyé en cela par le Vice-premier Ministre Lutundula.

Le monde entier, qui faisait semblant de ne pas voir les crimes que le régime rwandais actuel perpétue au Congo, a finalement compris ou ouvert ses yeux sur l’agression et le pillage du Congo par Rwanda ; présence qui, d’ailleurs, détruit largement l’écosystème de ce second poumon forestier du monde. Il faut dire que l’isolement diplomatique affiché depuis les années 2010 a été quelque peu nuisible tant pour l’image de marque de notre pays que pour son avenir tout court.

Cette absence a désorienté beaucoup de gens. Maintenant tout est au crédit de la gouvernance actuelle qui fait que les pays occidentaux qui ne comprenaient pas les enjeux réels de notre sous-région s’imprègnent de la réalité, car les problèmes de l’Est de la RDC sont protéiformes. Il a fallu un travail de communication qui est à l’actif de la gouvernance actuelle. Beaucoup de pays européens étaient réservés, et maintenant ils se prononcent tous en condamnant le Rwanda. Il a fallu un langage fort, franc comme l’a si bien fait notre Chef de l’Etat devant la tribune des Nations unies, et il le fait à chaque occasion possible. On a quitté le langage de bois pour rétablir la vérité. Avec notre  Vice-premier Ministre et Ministre des Affaires étrangères, nous assurons et assumons pleinement le service après-vente comme on dit. Je me rappelle que l’Ambassadeur d’Allemagne avait tenu deux conférences de presse au travers desquelles il avait dénoncé la présence du M23 soutenu par le Rwanda.

CD : Tout à l’heure, vous avez parlé de perspectives de 2023. Pourriez-vous nous faire un bilan de douze derniers mois de l’action du gouvernement en Allemagne ou votre bilan personnel ?

JTL : le bilan est tout ce que je viens de vous dire. Nous accompagnons et exécutons la politique extérieure du gouvernement telle que définie par le Chef de l’Etat. En outre, les perspectives sont multiples. C’est à Berlin, dans un sommet co-présidé par le président Al Sisi et la Chancelière allemande que notre Vice- premier Ministre en charge de l’Environnement, Représentante spéciale du Chef de l’Etat, a annoncé pour la première fois la formule hautement géostratégique de « la RDC est un pays-solution », et je ne sais pas vous dire l’ovation et la dynamique de l’assistance. Depuis lors, l’Allemagne nous accompagne, car nous sommes pays-solution dans plusieurs domaines : forestier, environnemental et climatique, transition énergétique, etc.

C’est dans ce contexte que d’importants accords de renforcement de coopération bilatérale sont annoncés durant et après les négociations intergouvernementales qui auront lieu à Kinshasa le 21 et 22 février prochain. Nombreux secteurs sont concernés : l’eau, énergie, biodiversité, paix et sécurité, formation professionnelle…; A l’occasion  de la journée du partenariat RDC-Allemagne, Son Excellence Ambassadeur Schnakenberg avait, dans son message, précisé ces domaines d’intervention allemande.

CD: Vous êtes également président du comité des Ambassadeurs de la SADC en Allemagne, en quoi consiste cette initiative et quelles sont les actions accomplies jusqu’ici ?

JTL : Je suis, par ailleurs, président de plusieurs comités étant donné que notre Président est à la tête de plusieurs organisations dont la SADC, la CEEAC. Notre Chef de l’Etat est sans doute une chance inouïe pour la RDC : il a fait un travail de repositionner la RDC, c’est à nous de faire le travail après-vente. On se souviendra qu’après son avènement au pouvoir, ses pairs ont trouvé en lui des qualités de leadership continental au point où il a été élu à la tête de l’Union Africaine. Ce positionnement avait rendu notre pays incontournable dans les relations de l’Afrique avec le monde, particulièrement les grandes puissances.

A l’heure actuelle, l’Afrique centrale et l’Afrique australe sont sous le leadership de notre Président, le Congo-Kinshasa qui gagne. Certainement cette position nous réconforte, nous les Ambassadeurs de la RDC. Par exemple moi, grâce à la posture actuelle du Chef de l’Etat, je me trouve à la tête de deux comités des Ambassadeurs ; SADC et CEEAC. Nous nous réunissons et suggérons à nos partenaires allemands d’accompagner quelques projets d’intégration au niveau de la sous-région que nous suscitons et qui pourront, dans une certaine mesure, désamorcer des potentielles crises ou de booster en commun l’économie au niveau de la sous-région.

CD : Excellence ! Comment décrivez-vous les relations commerciales entre Berlin et Kinshasa, donc les échanges commerciaux ?

JTL : Notre paysage économique est en train d’être remis à niveau. Classiquement et, ce depuis la colonisation, on exporte les matières premières. Notre économie est vraiment extravertie. Objectivement, l’actuel Chef de l’Etat a mis le cap sur la transformation locale de nos minerais ou d’autres matières en produits finis avec pour conséquence de les exporter avec une valeur ajoutée. Les plus grands bénéficiaires de cette volonté du Chef de l’Etat sont les jeunes que vous êtes. L’adhésion de notre pays à l’OHADA permet aussi l’adaptation de notre cadre juridique qui date de la colonisation et par ricochet est devenu désuète. La politique d’ériger des zones économiques spéciales aura le mérite de décentraliser les richesses et les emplois, surtout de la jeunesse, une sorte de péréquation par additionnel des moyens de l’Etat.

CD : Quel a été votre parcours avant de devenir Ambassadeur en Allemagne ?

JTL : Mes collègues d’Université, que ce soit à Mainz, à Saarbrücken et à Strasbourg en Allemagne, avaient coutume de désigner ma chambre « Home des étudiants » par le terminologue centre du monde. Me visitaient, des chinois, allemands, japonais, italiens, français, africains, moyen-orientaux, etc. En 1990, de passage à notre Ambassade à Bonn pour chercher certains documents, j’étais tout admiratif lorsque j’aperçu l’actuel Ambassadeur de notre pays en Italie, Papa Emile Tshinga sortir de son bureau pour nous saluer ; j’étais tellement admiratif que j’avais dit à des compatriotes qui étaient avec moi : un jour, je serai Ambassadeur aussi. Est-ce que je prophétisais, je n’en sais rien.

Est-il qu’après mes études et quelques années de chercheur-assistant aux universités de Liège, de Bonn et deux ans de prestation à la bourse de Francfort, j’ai décidé, comme nombreux des patriotes de rentrer chez nous, déjouer ce que beaucoup parmi nous considérions comme coup de Mzee Kabila, la rébellion du RCD. Nous considérions le MLC comme le seul mouvement nationaliste armé à même de rendre effective la victoire politique de Tshisekedi wa Mukumba sur le mobutisme. C’est dans ce contexte que je vais adhérer au MLC et son président, Jean-Pierre Bemba va me nommer, d’abord son représentant en Europe avec siège en Belgique. Peu après, j’ai décidé de m’installer au pays, à la faveur du Dialogue inter congolais de Sun-City, un autre piège tendu au Congo, que nous aborderons à d’autres occasions. À mon retour au pays, je fus engagé au cabinet du président du MLC, Bemba comme son conseiller diplomatique.

Les instances de ce mouvement ayant décelé en moi des aptitudes à représenter et défendre à merveille notre pays à l’étranger. Dans un premier temps, ils m’ont aligné pour la France, mais in fine je fus envoyé à Libreville ; un choix qui me permis de beaucoup apprendre du Président Omar Bongo Ondimba et de l’actuel Chef de l’Etat, sans oublié mes excellentes relations avec les directoires de CEEAC. Dans la mesure où un Ambassadeur ne peut être un membre d’un parti politique, je me suis mis à l’écart des contingences politiques pour servir la Nation et représenter le Chef de l’Etat primus inter pares de la Politique étrangère.

CD : Comment vous sentez-vous comme Ambassadeur de la RDC en Allemagne en termes de responsabilité ?

JTL : Ma mission est de rejoindre la vision du Chef de l’Etat de sortir notre pays de l’isolement diplomatique, il s’était confiné ; je suis fiers de voir à ce jour ses efforts largement couronné de succès car la RDC est désormais le pays qui compte. Aujourd’hui on ne peut plus parler de l’Afrique sans faire allusion à la RDC et son Chef. Je demeure reconnaissant aux autorités de mon pays qui continuent à me faire confiance. Ils confirment mon destin qui avait voulu que j’aille étudier en Allemagne. Quand j’avais reçu mon visa pour aller étudier et j’ai refait mon diplôme d’Etat en Allemagne, je voyais cela comme une punition. Je me sens à l’aise, car in fine j’ai compris que c’était le plan de Dieu que je fusse affecté comme Ambassadeur en Allemagne qui est un pays que je connais. Certaines autorités de ce pays furent mes professeurs alors que d’autres ont été mes collègues et se trouvent propulsés dans nombreuses institutions allemandes et européennes.

CD : Excellence ! Quel sera votre dernier mot dans cette interview ?

JTL : Je vous encourage dans ce que vous êtes en train de faire. Il est important dans notre pays que l’on ait un outil comme le vôtre qui permet de faire passer certains messages, mais aussi faire connaitre et faire vivre la vie diplomatique. A ce sujet, j’ai un projet de proposer à mon ministère de faire avec les Ambassadeurs accrédités un club des Ambassadeurs en poste et accrédités à Kinshasa, où ils auront à se retrouver pour échanger et se connaitre.

CD : Je vous remercie, Monsieur l’Ambassadeur !

JTL : C’est moi qui vous remercie !

Propos recueillis par Gomer Oleko

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